Le paradoxe de la croissance économique béninoise

(Bénin) –Un graphique vaut mille mots.” – Proverbe japonais. Que le lecteur veuille bien considérer les deux graphiques suivants : 

Graphique 1

GDP growth (annual %) – Bénin

Source : World Bank

Graphique 2 

Je pourrais arrêter le billet ici tant les deux graphiques ci-dessus exposent clairement le paradoxe de la croissance béninoise. Mais, je ne serai pas si économe en écriture ! Regardons en détail.

Le graphique 1 montre la croissance économique solide du Bénin. Le Bénin a connu une série de succès économiques au cours des dernières années. Même en 2020, malgré les secousses provoquées par la crise sanitaire et économique liée au Covid-19, le pays a maintenu un taux de croissance économique positif de 3,8 %. En 2022, le Bénin a été classé 3ème sur 54 pays dans le classement Africa’s Best Countries for Business 2022 du magazine Forbes. Dans le classement Africa’s Best Countries for Business 2022, le Bénin a été félicité pour ses efforts dans les domaines suivants : la stabilité politique et la bonne gouvernance, le climat des affaires, la diversification de l’économie et les infrastructures. De plus, le Bénin a été classé 2ème sur 54 pays dans le classement Africa’s Best Countries for Startups 2022 du magazine Jeune Afrique. Le 19 avril 2024, l’agence de notation S&P a rehaussé la notation de crédit de la République du #Bénin, la faisant passer de « B+ » avec une perspective « Positive » à « BB- » avec une perspective « Stable ».

L’on pourrait dire que tout va bien ! Mais, c’est ignorer l’existence du graphique 2. C’est plutôt, Tout va très bien, madame la marquise.

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Afrobarometer est un réseau de recherche panafricain, indépendant et non-partisan, qui réalise des sondages de l’opinion publique sur des sujets économiques, politiques et sociaux à travers le continent africain. Depuis plusieurs années, il réalise des sondages sur le niveau de pauvreté vécue dans plusieurs pays dont le Bénin. Le graphique 2 compile les résultats pour le Bénin depuis 2011. Le nombre de Béninois ayant un niveau de pauvreté vécue modéré ou élevé est en constante augmentation (de 51% en 2011 à 78% en 2022) avec une accélération depuis 2017. Il faut bien se rendre compte que ce que mesure Afrobarometer via la notion de pauvreté vécue est les besoins de base : est-ce que les Béninois manquent de nourriture, d’eau potable, de combustibles pour la cuisson des repas, de médicaments ou de soins médicaux. En somme, ce sont bien des besoins vitaux de subsistance dont une part importante des Béninois manque.

Il y a une dissonance entre les performances macroéconomiques du Bénin et le sentiment populaire. Essayons de comprendre. 

La croissance économique du Bénin n’est pas inclusive. Ce n’est pas une opinion, c’est un fait. L’indice de Gini, qui est une mesure de la répartition des richesses, a augmenté, au Bénin, de 0,4 à 0,43 entre 2016 et 2022, selon la Banque mondiale. Cela signifie que la richesse est devenue plus concentrée. En 2022, les 10% les plus riches de la population détiennent plus de 40% des revenus nationaux, tandis que les 50% les plus pauvres en cumulent moins de 20%. Les inégalités sont particulièrement prononcées entre les zones rurales et urbaines : les revenus des ménages ruraux sont en moyenne trois fois inférieurs à ceux des ménages urbains.

Par ailleurs, le phénomène inflationniste n’est pas étranger à la paupérisation des Béninois. Si l’on observe l’évolution des prix à la consommation au niveau national, l’on pourrait tirer la conclusion que l’inflation n’est pas massive. Il faut plutôt regarder l’inflation de certaines catégories spécifiques comme l’alimentation, le logement, l’énergie car les ménages aux revenus modestes y sont très sensibles. L’inflation cumulée pour le logement, l’eau, le gaz, l’électricité et les autres combustibles au Bénin depuis 2019 est de 14,2%, selon les chiffres de l’INStaD. L’inflation alimentaire cumulée au Bénin depuis 2018 est d’environ 30,7% en mars 2024. En miroir, le PIB par habitant a connu une augmentation globale de 10,1 % entre 2018 et 2022 (j’utilise le PIB par habitant comme indicateur faute de trouver des données sur l’évolution du revenu médian). On comprend pourquoi la pauvreté vécue par les ménages au Bénin est de plus en plus forte. Ce n’est pas un sentiment de pauvreté, mais bien une pauvreté réelle. 

L’augmentation des inégalités ces dernières années au Bénin doit nous préoccuper. Elle risque de radicaliser les deux classes sociales qui composent le Bénin : les “somewhere” et les “anywhere”. 

Thor Heyerdahl, anthropologue et navigateur norvégien, devenu internationalement célèbre en 1947 à la suite de l’expédition du Kon-Tiki, tentative de rallier les îles polynésiennes sur un radeau partant des côtes d’Amérique du Sud afin d’expliquer le peuplement de l’Océanie, a expliqué une distinction sociale qu’on note dans la tradition polynésienne. Cette distinction est celle entre les hommes des arbres et les hommes des bateaux qui est encore visible dans certaines régions de Polynésie, notamment en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et en Polynésie orientale. Les hommes des arbres sont des habitants des terres intérieures, qui vivent dans les forêts et les montagnes. Ils sont traditionnellement des agriculteurs, des éleveurs et des chasseurs-cueilleurs. Ils sont profondément attachés à la terre et à la nature. Les hommes des bateaux sont des habitants des côtes, qui vivent dans les villes et les ports. Ils sont associés à des valeurs plus modernes telles que l’ouverture sur le monde, le commerce et l’innovation. Dans le contexte actuel du Bénin, la situation économique des hommes des bateaux ne cesse de s’améliorer, contrairement à celle des hommes des arbres. C’est pour cela que les résultats des sondages de Afrobarometer semblent être dissonants de la phraséologie économique officielle. 

Prenons garde ! Agissons avant que les hommes des arbres puissent se révolter contre les hommes des bateaux

Par Sophonie Jed KOBOUDE

Ingénieur diplômé de l’école CentraleSupélec à Paris et économiste diplômé du Conservatoire National des Arts et Métiers de Paris. Il a accompagné plusieurs startups dans la structuration de leur business en Afrique.  Business Analyst chez un leader mondial de l’énergie, il est passionné par les nouvelles technologies de l’information, l’économie, l’énergie, et l’Afrique.

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