Investir en Afrique :Les trois secteurs incontournables pour 2025 et au-delà

(Investir en Afrique)- Dans ce billet, je vais livrer une version allégée d’une présentation que j’ai faite récemment à un client sur comment penser l’Afrique en termes d’investissement. Mon travail ici n’est pas de prédire la météo financière de la semaine prochaine en Afrique, mais de comprendre le climat financier global des cinquante prochaines années en Afrique. Et, ce climat est d’une clarté éblouissante pour qui veut bien ouvrir les yeux. Pour l’appréhender, nous allons utiliser non pas les derniers algorithmes/intelligences artificielles à la mode, mais une logique vieille de 2400 ans, la logique aristotélicienne, pour déduire les secteurs qui constituent les piliers inébranlables de la croissance africaine actuelle et future. 

En matière d’investissement, comme en philosophie, la solidité d’une conclusion dépend de la vérité de ses prémisses. Aristote nous a enseigné le syllogisme qui permet de produire une connaissance nouvelle et certaine à partir de deux propositions tenues pour vraies.

Appliquons-le à notre continent.

Prémisse majeure : Toute croissance économique durable et de long terme, dans n’importe quelle société, à n’importe quelle époque, repose sur la satisfaction des besoins fondamentaux et non-discrétionnaires d’une population croissante. La pyramide de Maslow, avant d’être un concept psychologique, est une réalité implacable. 

Prémisse mineure (la vérité spécifique à l’Afrique) : La réalité la plus indéniable, la plus certaine, la plus structurelle de l’Afrique pour les prochaines décennies est sa démographie. Ce n’est pas une prévision, c’est un fait accompli dont les conséquences vont se dérouler sous nos yeux. Selon les projections des Nations Unies, la population de l’Afrique subsaharienne doublera d’ici 2050, l’âge médian sera de 19 ans et chaque année, des millions de jeunes Africains entrent sur le marché du travail, forment des familles, et deviennent des consommateurs.

Conclusion (la déduction logique) : Par conséquent, les secteurs les plus structurellement porteurs en Afrique, ceux dont la croissance est la moins sujette aux aléas de la conjoncture mondiale, sont ceux qui répondent directement aux besoins essentiels et incompressibles de cette vague démographique.

De cette conclusion, limpide et irréfutable, découlent trois piliers d’investissement. 

L’agro-industrie et l’alimentation : Il faudra nourrir cette population.

La finance et les services financiers : Il faudra financer ces économies et les différents projets.

Les bâtisseurs (ciment, matériaux) et les connecteurs (télécoms) : Il faudra loger ces familles, construire les infrastructures et leur permettre de communiquer.

Voilà. La feuille de route est tracée. Mais, ces trois secteurs ont été déterminés par pure déduction logique. Maintenant, on peut se demander si, dans les faits, quantitativement, ces secteurs sont réellement prometteurs. Pour cela, je suis allé regarder les données. Attention, ça devient un peu technique à partir d’ici.

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Pour évaluer quantitativement la performance des trois secteurs que j’ai retenus, j’ai construit trois indices boursiers sectoriels africains couvrant la période 2015–2025 (soit dix années). Chaque indice est composé d’un panier représentatif de grandes sociétés cotées actives dans le secteur concerné, sélectionnées sur les principales places boursières africaines : Johannesburg Stock Exchange (JSE), Bourse Régionale des Valeurs Mobilières d’Afrique de l’Ouest (BRVM), Nigerian Exchange (NGX), Egyptian Exchange (EGX), entre autres. J’ai veillé à ce que la composition de chaque indice reflète la diversité géographique du continent tout en mettant l’accent sur les leaders de chaque industrie. Ainsi, l’indice Agro-industrie regroupe plusieurs géants agroalimentaires spécialisés dans la production et la transformation : un fabricant de denrées de base coté en Afrique de l’Ouest, un champion des produits alimentaires en Afrique australe, ainsi que des entreprises de la minoterie, du sucre ou de l’huilerie présentes en Afrique de l’Est et du Nord. L’indice Finance inclut majoritairement de grandes banques commerciales panafricaines – notamment les banques nigérianes et kényanes en forte croissance, des banques de l’UEMOA cotées à la BRVM, ainsi que des institutions financières nord-africaines. J’y ai également intégré des acteurs des assurances et de la fintech, lorsque ceux-ci sont cotés et représentatifs. Quant à l’indice Bâtisseurs & Connecteurs, il regroupe des sociétés de cimenterie (dont le leader ouest-africain du secteur, un acteur majeur maghrébin et un sud-africain), des entreprises d’infrastructures et de BTP, ainsi que les principaux opérateurs télécoms africains – notamment plusieurs groupes de téléphonie mobile présents dans différents pays du continent. Pour chacun de ces indices sectoriels, j’ai appliqué une pondération par capitalisation boursière de leurs composants, afin de refléter le poids économique réel de chaque entreprise au sein de son secteur. J’ai ensuite converti tous les cours en dollars américains (USD) aux taux de change en vigueur à chaque date, de manière à neutraliser les effets liés à la volatilité des devises locales et à offrir une mesure comparable du point de vue d’un investisseur international. Les indices ont été construits en rendement total c’est-à-dire en réinvestissant les dividendes afin de refléter fidèlement le rôle déterminant que jouent les dividendes dans la performance globale des marchés boursiers africains.

Je présente ci-après les résultats obtenus pour chacun de ces indices sectoriels, en les comparant à un indice de référence global du marché africain, l’indice S&P All Africa, lequel n’a délivré qu’environ +2,2 % de rendement annuel sur la même période.

Indice S&P All Africa (référence) : +24 % de rendement cumulé en 10 ans, soit +2,2 % par an.

Indice Agro-industrie & Alimentation : +60 % cumulé, soit +4,8 % par an. Surperformance d’environ +2,6 pts/an.

Indice Finance & Services Financiers : +85 % cumulé, soit +6,4 % par an. Surperformance d’environ +4,2 pts/an.

Indice Bâtisseurs & Connecteurs (Ciment/Infra/Télécoms) : +110 % cumulé, soit +7,8 % par an. Surperformance d’environ +5,6 pts/an.

Ce constat empirique (la surperformance des secteurs agro, finance, et infrastructures/télécoms) valide l’hypothèse de départ selon laquelle investir dans les secteurs répondant aux fondamentaux de l’économie réelle africaine offre une prime de rendement. Dit autrement, le marché a récompensé les entreprises qui nourrissent, financent et construisent l’Afrique, plus que l’ensemble hétérogène des entreprises (qui incluent des secteurs stagnants ou cycliques comme le pétrole, les minerais, ou des services moins développés). Les trois secteurs que nous avons explorés ont non seulement surperformé sur la dernière décennie, mais ils incarnent surtout des piliers du développement dont la contribution dépasse le cadre boursier. Ce sont des secteurs qui créent de l’emploi, améliorent la productivité globale du continent, et élèvent la qualité de vie des populations.

Comme me le répète souvent un de mes maîtres, on anticipe l’avenir non par espoir, mais par compréhension de ses structures. La performance à long terme vient en investissant dans la réalité économique, pas dans les illusions monétaires. 

Jed Sophonie KOBOUDE

Dirigeant d’un think tank parisien centré sur les questions africaines et il enseigne l’économie dans le cadre du parcours MBA du Centre de Valorisation Professionnelle de Tunis. Essayiste, il a déjà publié quatre ouvrages. Membre du Conseil d’administration d’InterGlobe Conseils, il supervise également le département des économies africaines et internationales.

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