L’ancien premier ministre du Bénin et banquier d’affaires, Lionel ZINSOU, a pris part aux travaux du deuxième Forum Europe- Afrique qui s’est refermé le 16 mai 2023 dans la ville française de Marseille . Dans son intervention, il a abordé la question du financement de l’Afrique, au sujet de la lutte contre le dérèglement climatique. Il n’a pas manqué d’évoquer les difficultés qui s’observent actuellement sur les marchés financiers.
À ceux qui demandent que l’Afrique se prenne en mains plutôt que de compter sur l’aide publique au développement, le co-fondateur de Southbridge laisse entendre que « l’Afrique fait ses propres efforts. Les concours de la diaspora africaine ont dépassé 100 milliards de dollars par an, c’est-à-dire une fois et demie le total de l’aide publique au développement, qui reste qualitativement et un peu quantitativement utile, il n’y a pas de doute, mais ce n’est pas le dilemme. »
Il fait remarquer le continent noir fait face à d’énormes dégâts en raison du dérèglement climatique. Par exemple la montée des eaux dans la région de Saint-Louis du Sénégal, et aussi la sécheresse, qui affecte depuis quelque trois ans des millions d’Africains, au Soudan, en Éthiopie, au Maroc aussi. Au-delà du principe de pollueur-payeur, qui a valeur universelle mais reste rarement concrétisé, la question essentielle, estime-t-il, est celle de la réparation des dommages, qui fut l’une des grandes déceptions de la COP 27, à Charm el-Cheikh. Les États très émetteurs ont certes reconnu « quelque chose qui ressemblerait à une responsabilité, avec des éléments presque pénaux », mais la contribution convenue des pays riches de 100 milliards par an n’a pas été exécutée, et cela a provoqué une frustration très forte parmi les pays pauvres.
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Lionel ZINSOU pense qu’il y a un vrai problème d’équité et qu’il faut désormais imposer un modèle africain. Il se base sur le que la « dette climatique » s’accroît sans cesse, de même que les différences d’émission de gaz à effet de serre qui sont considérables : un pays comme le Bénin émet 0,6 tonne (T) par habitant de gaz à effet de serre, l’Ouganda 0,1 t, la Tanzanie 0,2 t alors que les États-Unis en sont à 12,6 t et la Chine à 32,9 t. « On a donc un vrai sujet d’équité, de justice climatique, et on va finir par imposer un modèle africain », a-t-il dit.
Une Afrique qui s’occupe de ses propres financements
« C’est l’Afrique qui finance l’Afrique, continent ayant le taux d’épargne le plus élevé au monde », fait savoir Lionel ZINSOU. De fait, explique-t-il, les investissements directs étrangers (IDE) ne représentent que 5 % des investissements dans les économies africaines, investissements qui s’élèvent autour de 20 % des PIB, et dont quelque 15 % sont donc financés par la propre épargne africaine.
De son argumentaire, on retient que, contrairement à certaines craintes européennes, la Chine n’est pas le plus grand financeur de l’Afrique. L’Union européenne reste le premier créditeur, le premier investisseur, le premier importateur sur le continent et le premier débouché des exportations. « Il ne faut pas comparer l’impact de la Chine à celui de la France, ou de l’Allemagne, mais à l’ensemble des 25 pays de l’UE. Et là vous constatez que vous avez l’Union européenne est en Afrique en première position sur tout. Cela veut dire que les Occidentaux devraient se calmer sur le thème que la Chine recolonise l’Afrique et nous met à la porte… Pour la transition énergétique comme sur les objectifs du développement, il faut bien avoir en tête que c’est l’Afrique qui se finance. Deuxième source de financement, elle aussi africaine : quelque 100 milliards – on peut dire que ce n’est pas beaucoup, 3 % du PIB du continent, mais ce sont quand même 100 milliards, issus des retours d’épargne de la diaspora. Ces retours sont en forte croissance – pendant la pandémie, à la grande surprise de tous, il y a eu un effort très important, notamment dans les pays du Maghreb, mais aussi en Égypte et au Nigeria, de la diaspora qui a envoyé beaucoup de ressources.
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Troisième source : l’aide publique et les crédits sous toutes leurs formes, qui restent plutôt à dominante occidentale, même si la Chine commence à monter en puissance. En fait, notre problème en 2023, c’est que les marchés financiers ont tellement peur du risque qu’ils ont encore augmenté leur perception du risque africain. Et donc on ne peut pas aller sur les marchés. On va passer une année difficile, compliquée. Cela va retarder notre transition énergétique parce que les marchés nous sont fermés, ou à des prix exorbitants. Il faut donc innover… On est en train de le faire, de marier des philanthropes avec des banquiers de développement pour attirer le privé. En leur donnant des garanties et en prenant des premières pertes sur les crédits, on essaye de fabriquer du financement mixte où les philanthropes sont assez importants puisqu’ils font des dons. L’Union européenne aussi est très importante parce qu’elle aussi fait des dons. Ces dons servent de levier en permettant de dé-risquer les économies africaines, tandis que les crédits carbone augmentent le rendement. Si l’on réussit, nous aurons des liquidités privées. C’est ce que nous sommes en train d’essayer de faire en cette année 2023. Et moi, j’y crois beaucoup ! », détaille Lionel ZINSOU.
Dèlofon T. HOUETOHOSSOU