(La propriété)- Je veux me pencher, dans cette livraison, sur un concept qui, bien que souvent relégué au domaine du droit ou de l’économie, imprègne les strates les plus profondes de notre existence collective : la propriété. Qu’est-ce que la propriété ? Pour l’homme ordinaire, c’est la maison qu’il habite, la voiture qu’il conduit, le téléphone dans sa poche. Pour le juriste, un faisceau de droits (l’usus, le fructus, l’abusus des Romains). Mais, en réalité, c’est quelque chose de bien plus profond. La propriété représente une extension de la volonté humaine sur le monde matériel. Comme l’a si élégamment formulé John Locke dans son Deuxième Traité du Gouvernement Civil (1690), la propriété naît du mélange du travail humain avec les ressources naturelles, transformant ainsi le chaos de la nature en un ordre civilisé. Ce n’est pas seulement une question de possession ; c’est une affirmation de l’autonomie individuelle, un pilier sans lequel les édifices moraux, économiques et culturels d’une société s’effondreraient.
Rappelons que la propriété n’est pas un artefact moderne. Dès les premières civilisations, elle a structuré les relations humaines. Dans l’ancienne Mésopotamie, autour de 3000 av. J.-C., les Sumériens enregistraient déjà des transactions foncières sur des tablettes d’argile, marquant les débuts d’un système de droits privés. Cette évolution n’était pas fortuite ; elle reflétait une prise de conscience que la propriété stable est essentielle à la survie et à l’épanouissement des sociétés. Au fil des siècles, des penseurs comme Aristote, dans sa Politique, ont distingué la propriété privée de la commune, arguant que la première incite à la diligence tandis que la seconde mène à la négligence.
Tant que l’humanité vivait de chasse et de cueillette, la propriété était faible. Elle se limitait à l’outillage personnel. Mais avec l’agriculture, tout change. Planter une graine, c’est faire un pari sur l’avenir. C’est immobiliser un effort aujourd’hui pour une récolte dans six mois. Ce pari ne peut être tenu que si une règle émerge : le fruit de mon travail, sur cette parcelle que j’ai délimitée, m’appartient. Sans cette proto-propriété, pourquoi quiconque cesserait-il de cueillir pour se donner la peine de semer ? La sédentarisation, les premiers villages, les premières lois (comme le Code d’Hammurabi, largement consacré aux questions de propriété, de bétail et de terres) naissent de cet impératif. La propriété foncière n’est pas une invention de juriste ; elle est une nécessité de la survie agricole. Le génie de Rome ne fut pas tant militaire que juridique. Les Romains ont été les premiers à disséquer le concept de propriété (dominium) et à créer un système juridique sophistiqué pour l’enregistrer (le cadastre) et le défendre (jus civile). Cette certitude juridique a eu des effets économiques démultiplicateurs. Un sénateur romain pouvait posséder une oliveraie en Hispanie, la gérer depuis Rome, et savoir que son titre était sécurisé par la loi impériale. Cette sécurité a permis des investissements à une échelle inédite, finançant aqueducs, routes et commerce sur tout le bassin méditerranéen. Quand le droit de propriété romain s’est effondré avec l’Empire, l’économie a suivi.
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L’impact de la propriété ne s’arrête pas à l’économie. Il façonne le caractère. L’acte de posséder, au sens légal, transforme notre rapport au monde. Le locataire d’un appartement et son propriétaire n’ont pas la même attitude psychologique. Le propriétaire est investi d’une responsabilité de long terme. La propriété n’est pas seulement un droit de jouir ; c’est un devoir d’entretenir. Elle cultive les vertus de la prévoyance, de l’épargne et du soin. La propriété est la base matérielle de l’indépendance. Une personne sans propriété est entièrement dépendante de la volonté d’autrui pour sa subsistance, que ce soit un employeur, un seigneur féodal ou un bureaucrate d’État-providence. La propriété crée une « sphère privée » inviolable où l’individu est souverain. C’est cet espace qui permet la dissidence, l’originalité, la liberté de pensée et de parole. Il est difficile d’être un dissident courageux quand le gouvernement est votre propriétaire, votre employeur et votre médecin. Par ailleurs, contrairement à l’intuition rousseauiste, la propriété claire et respectée est le plus puissant outil de pacification sociale. Dans un monde sans propriété, le seul moyen d’accéder à une ressource rare est la force. C’est le conflit permanent, le « chacun pour soi » hobbesien. L’institution de la propriété remplace la lance par le contrat. Elle remplace le pillage par l’échange volontaire, où les deux parties gagnent. Le droit de propriété est le premier et le plus fondamental des droits de l’homme, car il est la seule alternative à la loi de la jungle.
Tournons vers l’Afrique. Le diagnostic, à la lumière de ce qui précède, est clair : une grande partie du problème africain est une crise du droit de propriété. Des millions d’agriculteurs cultivent des terres qu’ils « possèdent » par la tradition, mais dont ils n’ont aucun titre formel. Des millions de citadins vivent dans des maisons qu’ils ont bâties de leurs mains, mais qui n’existent sur aucun cadastre. Dans de nombreux pays africains, 70-90% des terres sont informelles, bloquant le capital. C’est le plus grand gisement de « capital mort » du monde. Cette situation a des conséquences dramatiques :
-Pas de crédit : L’agriculteur ne peut pas hypothéquer sa terre pour acheter des semences améliorées ou un tracteur. L’entrepreneur urbain ne peut pas utiliser sa maison comme garantie pour un prêt de démarrage.
-Pas d’investissement étranger : Une entreprise étrangère hésitera à construire une usine si le titre de propriété du terrain est contestable devant un tribunal coutumier ou à la merci d’un changement politique.
-Conflits permanents : L’absence de titres clairs est une source endémique de conflits fonciers, parfois violents, entre familles, villages ou ethnies.
-Faiblesse de l’État de droit : Quand la propriété la plus fondamentale, la terre, est hors-la-loi, le respect de la loi en général s’érode.
La solution pour l’Afrique n’est pas de détruire les traditions coutumières. Elle est de formaliser les droits existants. Il s’agit d’un immense chantier juridique, politique et technologique. C’est un processus long, mais des pays comme le Rwanda ont montré des progrès spectaculaires en lançant un programme national d’enregistrement des terres, qui a déjà considérablement amélioré la sécurité foncière.
En définitive, la propriété est une technologie sociale fondamentale, une condition de base pour la prospérité et la paix. Elle transforme l’individu d’un simple occupant de passage en un bâtisseur de long terme. Elle transforme le capital physique mort en capital vivant. Elle transforme la lutte pour les ressources en coopération par l’échange. Elle transforme le sujet dépendant en un citoyen autonome et responsable. L’histoire est claire : aucune nation n’a jamais atteint une prospérité durable sans un système robuste de droits de propriété. Pour l’Afrique, le chemin vers le développement passe par le déverrouillage de l’immense potentiel déjà présent, mais gelé dans un système juridique inadéquat. Adresser la question de la propriété, c’est donner à des centaines de millions d’individus les fondations légales et morales pour bâtir leur propre avenir.
Jed Sophonie KOBOUDE
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