(Capitalisme et protestantisme)- Si l’on se penche sérieusement sur les racines du capitalisme moderne, une évidence surgit immédiatement : il ne peut être compris uniquement comme le fruit de processus économiques purement techniques ou matériels. Pour saisir véritablement ce phénomène majeur de l’histoire économique et sociale, il faut pénétrer dans le territoire subtil mais essentiel des croyances, des mentalités et des valeurs morales. C’est là précisément que la dissociation du protestantisme par rapport au catholicisme a joué un rôle décisif. Car le capitalisme, avant d’être une structure économique, est d’abord un « esprit », un ensemble de valeurs spécifiques (la rationalité économique, l’épargne méthodique, l’effort personnel, la responsabilité individuelle, et cette quête subtile mais constante de signes terrestres de la bénédiction divine). Dans cette livraison, je vais défendre l’idée, centrale dans l’histoire économique, selon laquelle le protestantisme a libéré un nouvel esprit économique que Max Weber avait précisément nommé : « l’esprit du capitalisme ».
Pour comprendre comment le protestantisme a façonné l’esprit du capitalisme, il faut d’abord saisir l’ampleur de la rupture qu’il a opérée avec le catholicisme. Lorsqu’en 1517, Luther placarde ses célèbres 95 thèses à Wittenberg, il n’imagine probablement pas qu’il est en train de semer les germes d’une révolution économique. Mais, c’est pourtant ce qu’il fait. Pourquoi ? Le protestantisme, surtout dans sa déclinaison calviniste, rompt radicalement avec la vision catholique traditionnelle de la relation entre l’homme, Dieu, et le monde matériel. La Réforme protestante est ainsi plus qu’une rupture religieuse : c’est un bouleversement intellectuel et moral radical. Weber, dans son ouvrage phare, L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1905), identifie précisément cette révolution culturelle : la naissance d’une nouvelle attitude envers le travail et la richesse. Il nous explique que le protestantisme valorise le travail non plus comme une punition divine (vision du catholicisme médiéval), mais comme une « Beruf », une vocation sacrée. Ce n’est plus seulement un devoir imposé, c’est une mission divine personnelle. Pour comprendre pleinement cette révolution, il faut s’arrêter un instant sur une notion théologique complexe mais fondamentale : la prédestination calviniste.
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Jean Calvin affirme que Dieu a décidé dès l’éternité qui serait sauvé et qui serait damné. Cette doctrine a eu des conséquences psychologiques massives. Chaque croyant protestant cherche alors ardemment des signes pour savoir s’il fait partie des élus. Cette quête devient obsessionnelle : les croyants scrutent leur propre vie à la recherche de signes concrets et visibles de leur salut. Le travail, le succès économique, l’accumulation méthodique des richesses (à condition qu’elle reste sobre et discrète), deviennent alors des preuves possibles de leur élection divine. Weber précise bien : « Ce ne sont pas les richesses en tant que telles qui importaient, mais la preuve spirituelle qu’elles offraient ». Ce rapport radicalement nouveau au salut va générer un homme économique d’un nouveau type : méthodique, discipliné, économe, rationnel. Il naît ici une véritable éthique de la vie économique fondée sur la rigueur morale et l’autodiscipline. Le protestantisme construit ainsi une morale du quotidien rigoureuse, où chaque action devient une preuve de vertu personnelle, et chaque comportement économique devient moralement chargé. La rationalité économique moderne émerge alors naturellement de cette discipline de vie.
Par ailleurs, Alain Peyrefitte, dans « La société de confiance » (1995), insiste sur un point crucial : le développement économique nécessite un terreau culturel et moral précis, dont l’ingrédient central est la confiance. Pourquoi la confiance ? Parce qu’elle rend possible la coopération spontanée entre les individus. Or, les sociétés protestantes ont précisément généré une telle confiance grâce à leur éthique de responsabilité individuelle et de transparence contractuelle. Le protestantisme encourage l’alphabétisation (pour lire la Bible), ce qui favorise la confiance dans les échanges écrits et les contrats clairs. Par contraste, les sociétés catholiques traditionnelles, fortement hiérarchisées et souvent dominées par des relations de dépendance personnelle et de favoritisme, ont plus de mal à instaurer une confiance généralisée. Les données historiques sont éloquentes. Aux Pays-Bas protestants du XVIIe siècle, on atteint un taux d’alphabétisation d’environ 70% à 80%, contre seulement 10% à 20% en Espagne ou en Italie catholique à la même époque. En Angleterre protestante, le nombre d’imprimeurs passe d’une trentaine en 1550 à plus de 400 en 1640 : la diffusion des idées, moteur essentiel du progrès économique, explose littéralement. Au XVIIIe siècle, en Prusse protestante, Frédéric II instaure un système éducatif public obligatoire, atteignant rapidement des taux d’alphabétisation supérieurs à 90%, posant les fondations d’un État moderne rationnel et efficace. Si l’on observe les faits historiques, les pays d’Europe du Nord, majoritairement protestants (Pays-Bas, Royaume-Uni, Danemark, Suède, Allemagne du Nord), ont connu une avance économique spectaculaire dès les XVIe et XVIIe siècles. Aux États-Unis, largement façonnés par l’éthique puritaine, l’essor économique est spectaculaire : le PIB américain par habitant dépasse dès 1900 celui de l’Europe catholique de près de 30% à 40%.
La dissociation du protestantisme par rapport au catholicisme a permis l’émergence d’un certain type d’homme économique : rationnel, épargnant, travailleur, responsable, en quête de signes de salut dans sa réussite professionnelle. C’est ce que Weber appelle l’esprit du capitalisme. Le capitalisme moderne doit énormément à la dissociation du protestantisme vis-à-vis du catholicisme.
Jed Sophonie KOBOUDE
Dirigeant d’un think tank parisien centré sur les questions africaines et il enseigne l’économie dans le cadre du parcours MBA du Centre de Valorisation Professionnelle de Tunis. Essayiste, il a déjà publié quatre ouvrages. Membre du Conseil d’administration d’InterGlobe Conseils, il supervise également le département des économies africaines et internationales.
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