Au Nigeria, le difficile chemin vers l’autosuffisance en riz

L’interdiction d’importation mise en place en 2019 a favorisé la production locale, mais la demande intérieure du pays le plus peuplé d’Afrique est devenue trop forte. La pandémie n’a pas arrangé les choses.

Armés de râteaux trop grands pour eux, des enfants répartissent le riz doré sur des bâches tendues au soleil. A deux pas des rives, ces grains bruts sont décortiqués, polis et triés, sous l’œil d’Anita Korave, dos bien droit sur son petit banc de bois. Ni le crachotement des machines ni les négociations hurlées à pleins poumons au-dessus des sacs rebondis ne dérangent la commerçante, tout à sa préoccupation : l’augmentation constante des prix. Sur le marché de Makurdi, capitale régionale de l’Etat de Benue, au centre-est du pays, les 25 kg qui s’échangeaient 7 500 nairas (16 euros) il y a quelques mois encore se négocient désormais 9 000 nairas (19 euros). Le riz a beau être un aliment de base, bientôt certains ne pourront plus s’en nourrir.

Le Nigeria, qui ambitionne d’atteindre l’autosuffisance en riz, souffre de la faiblesse de sa production locale. Dans ce pays aux allures de continent, le plus peuplé d’Afrique, le riz, trop rare, est de plus en plus cher. Pourtant, depuis son arrivée à la tête de l’Etat en 2015, le président Muhammadu Buhari s’est fait le champion de la promotion de l’agriculture et de l’autosuffisance alimentaire, un levier selon lui pour « tirer 100 millions de Nigérians de la pauvreté ». En août 2019, bien avant le début de la pandémie mondiale, le Nigeria a même décrété la fermeture de ses frontières terrestres aux importations. Une décision unilatérale, visant à lutter contre la contrebande et à encourager la production locale. Une politique protectionniste qui a eu des effets économiques délétères, aggravés ensuite par l’arrivée du Covid-19.

Récession

Ces derniers mois, les mesures sanitaires ont compliqué la circulation des ouvriers agricoles et des engrais produits dans la ville industrielle de Port-Harcourt (sud), à destination du nord. Les prix de la nourriture ne cessent d’augmenter, alors que le pays entre en récession. Le 16 décembre, le gouvernement nigérian est finalement revenu en partie sur ces restrictions, en rouvrant quatre importants postes-frontières avec le Bénin, le Niger et le Cameroun. Mais l’interdiction d’importer du riz est, elle, maintenue.

Dans l’Etat de Benue, le riz qui arrivait par moto depuis le Cameroun a effectivement disparu des étals ces derniers mois, pour laisser place à la production « made in Nigeria »« La fermeture des frontières a bien aidé les agriculteurs de la région. Avant ça, on avait du mal à trouver des clients pour le riz local, constate Anita Korave. Mais maintenant, la demande est presque trop importante. »

A l’entrée de la ville de Makurdi, une sculpture décatie représentant une corbeille de fruits et légumes rappelle que la région de Benue se targue d’être « le panier alimentaire de la nation ». Mais dans cette « Middle Belt » comme dans le reste du Nigeria, ce sont de petits paysans sans formation et sans machines qui assurent 80 % de la production, d’abord destinée à la subsistance de leur famille.

Difficile d’emprunter

Or « les récoltes vont être très mauvaises cette année. Les gens vont avoir faim et tout le monde le sait », grommelle Henry Vaa, en repoussant les épis de maïs pour se frayer un passage à travers champs. Cet employé du gouvernement local forme et conseille des agriculteurs du district de Guma, dans le cadre d’un programme du Fonds international de développement agricole, soutenu par la multinationale singapourienne Olam. A condition d’être enregistrés dans une coopérative, « les paysans reçoivent une aide pour financer leurs engrais et leurs graines. Puis Olam achète leur riz à prix fixe ». Ce matin-là, Henry Vaa visite la ferme de Simeon Degh, qui a pu suivre une de ces formations et s’apprête à repiquer un carré de plans bien verts et pleins de vitalité quand, dans les champs voisins, les brins de riz maigres émergent à peine au milieu d’herbes folles.

Pour investir dans des semis de qualité ou payer la main-d’œuvre nécessaire à la préparation des champs, il faut des fonds. Or, ici, « la vaste majorité des agriculteurs sont des gens peu éduqués, n’ont souvent même pas de compte en banque. Sans garanties, il est très difficile d’emprunter pour lancer une activité commerciale », souligne l’économiste Adedayo Bakare, basé à Lagos. « Du coup, l’agriculture, qui représente 22 % du PIB nigérian, ne compte que pour 7 % des emprunts, quand le secteur pétrolier, qui ne pèse que 9 % du PIB, engrange 30 % des prêts bancaires. »

Difficile également de contracter une assurance au vu des risques encourus. Dans l’Etat de Benue, les prémices de la sécheresse se sont fait sentir dès août et la saison humide s’est, cette année, brutalement achevée au mois d’octobre, mettant en difficulté ceux qui misaient sur une récolte un peu tardive. Dans la région de Kebbi, dans le nord-ouest du Nigeria, ce sont cette fois de gigantesques inondations qui ont emporté 90 % de la production annuelle de riz début octobre.

Compétition pour l’accès à la terre

Les intempéries ont aussi englouti les 33 hectares de rizière que possède Jacob Anonbgu, près de Makurdi. « Mes ouvriers travaillent dur pour sauver ce qui peut encore l’être. Et moi, je cours dans tous les sens pour trouver des financements ! », se plaint-il. « Cette année, comme nous n’avons presque aucune machine dans notre région, j’avais même loué un tracteur que j’ai dû faire venir de Kaduna », poursuit ce fermier, qui survit principalement grâce à ses investissements dans des machines pour la transformation et le conditionnement du riz. Récemment, il a sollicité un prêt subventionné par la Banque centrale du Nigeria pour développer son activité. Mais bien que son dossier ait été sélectionné, l’argent promis ne lui a jamais été versé. « Le gouvernement se moque de nous quand il fait la promotion de l’agriculture, se lamente Jacob. Là, c’est le riz qui n’a pas marché. Mais il y a deux ans, ce sont les éleveurs peuls qui ont envahi mon élevage de poissons-chats et qui ont tout détruit. »

La compétition pour l’accès aux ressources et à la terre a fait des milliers de morts ces dernières années au Nigeria. La désertification pousse les éleveurs musulmans et leurs troupeaux vers le sud du pays, où ils entrent en concurrence avec les agriculteurs sédentaires, chrétiens pour l’essentiel. Autour de la ville de Makurdi, 60 000 paysans déplacés s’entassent dans des camps surpeuplés, sans pouvoir cultiver leurs terres. Et la crise humanitaire est encore plus aiguë dans le nord-est, en proie à l’insurrection djihadiste. Le 28 novembre, 76 paysans ont été massacrés par les hommes du groupe Boko Haram dans une rizière située à une vingtaine de kilomètres de la grande ville de Maiduguri, dans l’Etat de Borno, où les agriculteurs ont encore plus de mal à accéder à leurs champs et dépendent de l’aide alimentaire.

Pour Al-Hassan Cissé, qui travaille pour l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), « la situation sécuritaire est très inquiétante. Les contraintes sont très fortes pour les agriculteurs, menacés par les djihadistes et soumis aux restrictions imposées par l’armée nigériane ». La FAO estime que 9,8 millions de personnes ont d’ores et déjà besoin d’assistance alimentaire dans 16 Etats du Nigeria et que la situation devrait encore s’aggraver dans les prochains mois. Si la majeure partie des besoins se concentrent dans les régions du nord-est du pays, la faim menace désormais jusque dans les plaines verdoyantes de la « Middle Belt ».

Liza Fabbian (Lemonde.fr/Afrique)

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